Après plus de deux semaines de manifestations massives en Colombie, «l’espace» de dialogue proposé par le président Iván Duque n’a toujours pas été installé. Les pourparlers entre les deux secteurs n’ont pas atteint leur objectif. La réponse de Duque a été plus de répression et du côté du Comité de grève, le pari est de continuer les protestations massives.
Les animateurs du Comité National de grève ont présenté une liste de revendications, qui sera soumise à l’évaluation de l’Exécutif, dont le porte-parole maintient la levée des barrages routiers comme une demande de s’asseoir pour discuter.
Cependant, la situation semble loin d’entamer un processus de désescalade, selon un rapport de RT. La mort d’une personne tôt lundi matin dans la ville de Yumbo, dans le Valle del Cauca, ainsi que les informations de plus en plus nombreuses faisant état d’abus sexuels présumés commis par les forces de l’ordre contre des manifestants, n’ont fait qu’alimenter les appels à la protestation. Le 19 mai prochain, il y aura un autre appel de masse.
Certains analystes commencent déjà à remarquer des signes indiquant que la situation commence à dépasser l’administration de Duque, et même son propre parti, le Centre Démocratique conservateur, a pris ses distances par rapport aux positions du président. Que faire maintenant ?
Colombie : entre blocages et violences policières
Duque, qui, en un peu plus de deux semaines, a dû faire marche arrière sur sa réforme fiscale et perdre deux ministres (l’ancien Ministre des Finances Alberto Carrasquilla et l’ancienne Ministre des Affaires Étrangères Claudia Blum), est toujours déterminé à demander la levée des barrages routiers dans les villes afin de s’asseoir pour négocier. La raison de cette demande est que l’obstruction des routes génère un effet qui se manifeste par des rayons vides, des défaillances dans la fourniture des produits de première nécessité et la vérification du pouvoir de pression des convocateurs par des actions énergiques.
«Nous avons tous la capacité d’agir et de dire ‘oui à la possibilité de construire des accords, bien sûr que oui’, mais pas avec la manière de fait, pas avec la menace, pas avec l’affectation des droits de toute une nation», a déclaré Duque dimanche soir, lors d’une réunion avec les gouverneurs de l’Eje Cafetero et du Valle, puisqu’il n’a pas assisté à la réunion avec le Comité de Grève. Puis, lundi soir, il a souligné qu’il enverrait davantage de troupes à Cali, une ville considérée comme l’épicentre des manifestations, pour débloquer les routes, une décision rejetée par le Comité de grève.
Duque estime que les blocages n’ont fait que maintenir la société «séquestrée», malgré le fait que le Bureau du Médiateur ait accepté d’ouvrir des «couloirs humanitaires» avec les manifestants pour permettre le passage de nourriture, de médicaments et de produits de première nécessité. Pour le président colombien, «légitimer» la mise en œuvre de ces mesures en pleine contestation revient à «relativiser» les droits de la population.
D’autre part, les plaintes des manifestants concernant les excès des forces de sécurité ont également mis Duque dans les cordes. Bien que les Nations Unies (ONU) et l’Église accompagnent les pourparlers, qui n’ont pas démarré, les organisations de défense des droits de l’homme ont élevé la voix pour rendre visible le niveau de violence avec lequel les agents agissent : plus de 40 morts, des centaines de blessés, des dizaines de plaintes pour abus sexuels présumés et plus de 500 personnes disparues en sont les preuves les plus palpables.
Brutalités policières
L’ONG Temblores, l’une des plus actives dans la documentation des actes de brutalité des forces publiques et des dénonciations des manifestants, insiste sur le fait qu’il y a une «augmentation de la violence policière» qui nécessite non seulement des actions spécifiques, mais une réforme structurelle des institutions de l’ordre public.
Selon l’organisation, la raison de ces excès qui se manifestent dans les manifestations réside dans le fait «d’avoir donné à la police un pouvoir absolu sur l’espace public pour contrôler le virus».
«Nous l’avons mis en garde depuis l’année dernière, lorsque nous avons signalé que les citations pour «atteinte à l’autorité» avaient augmenté de 500%. (Nous sommes passés d’environ 200.000 en 2019 à 1.200.000 en 2020)», détaillent-ils.
Un autre aspect mis sur la table par les organisateurs de la grève est la cessation de la violence «paraétatique», une pratique qui s’est manifestée par l’irruption de civils armés qui attaquent ou menacent les manifestants, avec la complaisance ou l’inaction des personnes en uniforme.
Qu’es qui passe avec Duque et la Colombie ?
Le président colombien, qui est arrivé au pouvoir en tant que mandataire politique de l’ancien président Álvaro Uribe, affronte ces jours de protestations avec une popularité entamée par ses décisions politiques et sa mauvaise gestion pendant la pandémie, qui a généré plus de 3 millions de nouveaux pauvres dans un pays qui commence à faire face aux problèmes reportés par le conflit armé.
Cependant, la proximité des élections de 2022 pourrait mettre en péril le soutien dont il bénéficie. Les analystes cités par les médias locaux estiment que les alliés politiques de Duque ont commencé à exprimer clairement certaines divergences, dans l’espoir que, quelle que soit l’issue des négociations, le Centre démocratique soit le moins affecté possible.
Pour l’instant, le président continue sans condamner ouvertement les excès policiers et maintient la ligne de stigmatisation des manifestants, qu’il a accusés d’avoir des liens avec les dissidents des FARC, de l’ELN et même avec les possibles candidats présidentiels de gauche, raison pour laquelle le Comité de Grève a lancé un nouvel appel à la mobilisation massive pour ce mercredi.
Bien qu’ayant assisté à la première réunion avec le gouvernement, avec un seul point qui exige la cessation de la «violence étatique et paraétatique», le Comité insiste pour maintenir la protestation dans les rues, avec les villes de Cali, Bogota, Medellin, Popayan et Pereira comme principaux épicentres.